ANALYSES

Corée du Nord/Corée du Sud : tensions régionales, divergences géopolitiques

Interview
11 mars 2024
Le point de vue de Barthélémy Courmont


L’appréhension des conflits en Ukraine et à Gaza témoigne des positions diamétralement opposées de la Corée du Nord et de la Corée du Sud sur la scène internationale et renforce l’incertitude autour d’une relation déjà bien fragile. Comment analyser les rapports des deux États de la péninsule coréenne ? Comment le contexte géopolitique cristallise-t-il leurs divergences ? Entretien avec Barthélémy Courmont, directeur de recherche en charge du Programme Asie-Pacifique, et co-responsable du développement à l’IRIS.

Comment caractériser les relations entre la Corée du Nord et la Corée du Sud depuis l’élection du président sud-coréen Yoon Suk-yeol en mars 2022 ?

La relation est mauvaise, et nous rappelle les tensions déjà observées à plusieurs reprises, notamment sous les présidences conservatrices de Lee Myung-bak (2007-2012) et Park Geun-ye (2012-2017). Le mandat du libéral Moon Jae-In (2017-2022) fut marqué par un réchauffement très significatif de la relation entre Séoul et Pyongyang, en particulier en 2018, avec plusieurs rencontres et l’établissement d’une ligne directe permettant de prévenir d’un conflit accidentel. Mais les tensions sont progressivement réapparues, et la crise du Covid-19, puis l’arrivée au pouvoir de Joe Biden aux États-Unis eurent un impact négatif sur le dialogue intercoréen. Avec l’arrivée au pouvoir de Yoon Suk-yeol, qui sera en poste jusqu’en 2027, les tensions ont à nouveau atteint un sommet, et se sont même traduites par des affrontements, en plus d’une escalade verbale et la rupture de la ligne de communication directe. Bien sûr, les deux pays qui sont officiellement en guerre (la guerre de Corée ne se termina qu’avec un armistice en 1953, mais aucun traité de paix ne fut jamais signé) sont coutumiers de ces périodes de tensions, mais le contexte international venant s’ajouter à cette relation délicate doit nous alerter sur les risques d’escalade.

Entre la guerre en Ukraine et la guerre à Gaza, comment les deux Corées se positionnent-elles sur l’échiquier international ?

Sur Gaza, la position sud-coréenne ressemble à celle des pays occidentaux : condamnation sans réserve de l’attaque du 7 octobre, mais aujourd’hui une inquiétude liée à un conflit qui s’éternise. Dans le cas de la Corée du Nord, la position est très simple, et contrairement à ce qui est souvent annoncé, ce pays est ici, comme sur les autres sujets, très prévisible : depuis 1988, Pyongyang reconnait l’autorité palestinienne sur l’ensemble du territoire israélien, à l’exception du plateau de Golan qui est à la Syrie. En d’autres termes, la Corée du Nord ne reconnait pas l’État d’Israël, et les relations entre les deux pays sont particulièrement mauvaises. Deux positions radicalement opposées donc.

Sur la guerre en Ukraine, c’est encore plus tendu et, à bien des égards, générateur de nouvelles crispations entre les deux pays. La Corée du Sud est l’un des rares pays asiatiques qui sanctionne la Russie en plus de condamner l’invasion. Yoon Suk-yeol s’est même risqué à évoquer un soutien militaire à Kiev, avant de recevoir un message menaçant de Moscou s’il s’engageait dans cette voie. Mais la Corée du Sud a conforté son lien avec la Pologne, qui lui achète des armes. Côté nord-coréen, non seulement le pays fut l’un des seuls à soutenir officiellement l’offensive russe à l’ONU, mais depuis la rencontre entre Vladimir Poutine et Kim Jong-un, les deux pays sont même des alliés stratégiques, Pyongyang fournissant des munitions à Moscou en l’échange apparemment d’une coopération dans le domaine spatial. Si la guerre en Ukraine impacte très peu l’Asie dans son ensemble, on voit qu’elle a en revanche un impact très fort sur les tensions dans la péninsule coréenne.

Alors que Joe Biden insiste pour développer un partenariat avec la Corée du Sud et que Donald Trump avait entamé un dialogue historique avec la Corée du Nord lors de sa présidence, l’élection américaine de 2024 pourrait-elle bouleverser l’équilibre géopolitique et l’avenir de la péninsule coréenne ?

Les États-Unis pressent actuellement la Corée du Sud de rejoindre un partenariat triangulaire incluant le Japon, à la manière d’AUKUS dans le Pacifique Sud. S’y ajoute une série d’exercices militaires conjoints démontrant la détermination de Washington à renforcer ses partenariats stratégiques dans la région. Dans le cas d’un retour de Donald Trump à la Maison-Blanche en janvier prochain, il est possible que de tels développements soient balayés d’un trait, le candidat républicain se montrant peu attaché aux alliances stratégiques. Côté sud-coréen, on suit l’élection américaine avec attention, et avec la conscience que l’inconsistance des États-Unis est un sérieux handicap face à Pyongyang. Mais on suit aussi les développements politiques au Japon, avec l’hypothèse d’un départ de l’actuel Premier ministre Kishida, et la possibilité qu’après la présidence de Yoon Suk-yeol, son successeur remette en cause sa politique vis-à-vis de la Corée du Nord. Bref, on voit bien que si les stratégies sont assez lisibles du côté de Pyongyang, avec la survie du régime comme unique motivation, elles sont soumises à diverses interprétations côté sud-coréen.
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